La Novlangue de 1984 entre musique et art contemporain
- Valentina Semeghini
- 14 nov 2018
- Tempo di lettura: 6 min
Aggiornamento: 7 feb 2019
Activité de médiation autour du roman de G. Orwell et de l'oeuvre de A. Cesarco

Le Novlangue était destiné, non à étendre, mais à diminuer le domaine de la pensée, et la réduction au minimum du choix des mots aidait indirectement à atteindre ce but. (G. Orwell, 1984)
Il s’agit probablement de la règle principale de la langue créée par George Orwell dans son roman dystopique 1984. Le principe est très simple: si on diminue la quantité de mots d’une langue, on réduit aussi sensiblement le nombre de choses dont on peut parler. En laissant un vocabulaire pauvre en nuances et une grammaire simplifiée à l’extrême se sédimenter, les habitants d’Océanie - le continent conçu par Orwell - n’auraient plus pu formuler certaines pensées. Le but de l’ANGSOC, le parti au pouvoir dans le roman, était justement de ne pas permettre à la population de réfléchir, et de contrôler toute mode de pensée, à travers l’oubli progressif de l’ancilangue, la langue parlée auparavant.
Le Novlangue avec Alejandro Cesarco au Jeu de Paume
Sur conseil d’un professeur, je suis allée au Jeu de Paume pour la troisième séquence de la programmation satellite « NOVLANGUE_”, qui s’est terminée le 27 janvier 2019. ». Le cycle met en correspondance le langage des médias avec la langue officielle imaginée par George Orwelll, dans le but de créer un parallélisme avec 1984 et le contrôle progressif que l’on obtient sur la pensée critique, à travers la simplification de la langue dans l’espace public.
Ce troisième volet de NOVLANGUE repose sur le travail d’Alejandro Cesarco, artiste uruguayen, figure majeure de l’art conceptuel. L’oeuvre au centre du satellite est un film, “Apprendre la langue - présent continu”, qui appartient à la série de portraits vidéo de Cesarco, qui utilise le vocabulaire de la personne filmée pour ses recherches, qui portent surtout sur le langage et les structures qui le sous-tendent, la traduction, la mémoire la littérature.
"Apprendre la langue - présent continu I"

Alejandro Cesarco nous présente la figure de Margarita Fernandez, pianiste, professeur et représentante majeure de la musique contemporaine argentine. Le film s’ouvre sur un plan fixe, presque documentaire et froid, de la pianiste qui commence à jouer un morceau. Les mains de l’artiste arrêtent de jouer après quelques notes et soudain un fond noir nous plonge dans le silence. Puis, des mots se profilent, énoncés par Fernandez même, qui évoque une mélodie de Schubert:
Il était une fois un film, ou il était une fois un Andantino...
Le cadre est tout de suite à nouveau sur les les mains de Fernandez: silence et la musique démarre, les notes s’enchainent.
Ainsi, au cours de 19 minutes, des fragments où la pianiste joue, du texte sur fond noir que le voix de Fernandez anime et des focus sur sa silhouette et son visage très expressf s’alternent.
Les parallelismes avec le Novlangue de George Orwell
“J’ai été frappée par la facilité avec laquelle [l’Andantino] exprimait son thème...j’ai été happée par cette entité que l’on peut réduire à une particule élémentaire de deux sons la - sol#, autour desquels Schubert a composé un thème minimaliste de retours et de variations. »
J’ai été particulièrement touchée par le parallèle qu’on peut tracer entre “la langue” de Margherita Fernandez, constituée des notes qu’elle joue, ainsi que de ses commentaires et réflexions, et la Novlangue de Orwell.
Le manière dans laquelle la pianiste joue, et les sons “staccato”, ainsi que la réduction des accords, font écho à la classe de vocabulaire A de 1984, qui concerne le lexique de la vie quotidienne, à savoir de mots univoques, courts et sans nuance, qui expriment un concept bien déterminé.

Les deux “langues” - de Fernandez et de Orwell - ont en commun une simplicité essentielle, qui permet de partager des informations élémentaires à travers l’automatisme : ainsi, on remarque que la langue de l’artiste passe par la répétition de ses gestes et les mouvements de ses mains. L’oeuvre même de Cesarco devient un aller-retour de motifs, de sonorités, de combinaisons de différents arts et langages, qui nous font passer continuellement de la musique au cinéma, du film au texte écrit, de la parole “lue” à la narration.
L'activité de médiation
Finalement, l’oeuvre est centrée sur le lien entre la musique, l’automatisme et la langue. C’est précisément ce rapport que j’ai essayé de mettre au centre d’une petite forme avec un collègue de Master: tout simplement, nous avons essayé de proposer une activité potentielle avec un format court - vingt minutes environ - pour présenter à une classe de Terminale cette relation au coeur de Apprendre la langue - présent continu. Il s’agissait d’un exercice visant à permettre à un public empêché de notre choix d’accéder autrement à une oeuvre d’une exposition d’un musée parisien. Ainsi, étant donnée la passion que mon collègue et moi partageons pour les questions linguistiques, cette oeuvre nous est tout de suite semblée parfaite. De plus, son lien avec les dimensions de la musique et de la narration nous a fait opter pour une classe d’élèves aveugles.
Nous avons imaginé de proposer aux élèves, interprétés par nos camarades, une séance d’apprentissage de notre langue musicale, appelée Motzik, en expliquant qu’elle s’inspire d’une langue qui existe déjà: la Novlangue de George Orwell, que nous avons brièvement introduit dans ses caractéristiques essentielles. Nous avons voulu en reproduire la structure et les règles à travers la pratique musicale de trois instruments: un piano, des xylophones et des flutes.
Notre but était finalement de transmettre aux élèves l’idée de réduction de la langue, de répétition et d’utilisation d’éléments très simples, qui expriment de moins en moins de nuances.
Ainsi, notre activité a été divisée en trois moments, ponctués par une citation des règles de la Novlangue de George Orwell.
Phase 1
Le novlangue était destiné, non à étendre, mais à diminuer le domaine de la pensée, et la réduction au minimum du choix des mots aidait indirectement à atteindre ce but.
Nous avons divisé les élèves sur les instruments (3 au piano, 3 à la flute, 2 au xilophone) et avons expliqué que, pour que notre Motzik soit facile, nous avions décidé d’utiliser des combinaisons de trois notes seulement: ré, sol et si bémol, qui constituent notre lexique de base.
Phase 2
Les mots novlangue étaient divisés en trois classes distinctes, connues sous les noms de vocabulaire A, vocabulaire B et vocabulaire C.
Nous avons commencé à réduire notre langue musicale: chaque élève devait apprendre une phrase musicale, à partir de deux seules notes. Quelqu’un avait la phrase A (SOL - RE); quelqu’un la B (SOL-SOL), d’autres la C (SOL - SI BEMOL). Chacun a appris à jouer ses notes et nous avons fait répéter toutes les phrases A (un piano, un xylophone, une flûte), ensuite toutes les phrases B ( un piano et une flûte) et finalement les C (encore un piano, un xylophone et une flûte). Finalement, tout le monde a joué ensemble, en obtenant une mélodie bien syncronisée et agréable.
Phase 3
Comparé au nôtre, le vocabulaire novlangue était minuscule. On imaginait constamment de nouveaux moyens de le réduire.
“Nous avons dit aux élèves: il n’est pas nécessaire de créer des langues compliquées, pour vous c’est moins fatiguant de jouer quelque chose de plus simple...Donc, on va réduire notre lexique au SOL. Donc, tout le monde va jouer SOL-SOL”. On a fait jouer la même note à tout le monde, sur un seul temps, en créant un effet monotone et très mécanique.
Nous avons finalement demandé à nos camarades ce qu’ils avaient ressenti en réduisant le lexique, comment la qualité de la mélodie avait changé et quel était selon eux le rapport avec la Novlangue de George Orwell. Ensuite, nous avons terminé en révélant - dans la fiction, bien évidemment - qu’ils iraient profiter de cette oeuvre au Jeu de Paume et on a introduit Alejandro Cesarco.
Comment inscrire cette activité dans les programmes?
Cette petite séance, qui pourrait bien s’adresser à un public non empêché, est finalement destinée à des élèves et peut parfaitement s’inscrire dans les compétences énoncées dans le Socle Commun de Connaissances, de Compétences et de Cultures. Elle touche en particulier au domaine 1 - les langages pour penser et communiquer - en ce qui est langue française, langues vivantes et langages des art (ici, de la musique). Des références vont aussi au domaine 5 - les représentations du monde et de l’activité humaine, en ce qui concerne la compréhension des productions culturelles dans le temps et dans l’espace - ici, le roman 1984 de George Orwell pour la littérature du XX siècle, ainsi que l’oeuvre d’art contemporain de Alejandro Cesarco - pour la compréhension des sociétés dans le temps et dans l’espace, le monde contemporain dans lequel on vit. Ainsi, à travers la musique et des oeuvres de nature différente, on peut ouvrir à la discussion sur les totalitarismes et leurs méthodes de contrôle des idées, mais aussi à l’usage actuel d’un lexique de plus en plus restreint par les politiciens ou dans les réseaux sociaux, et ses conséquences sur notre capacité d’expression et réflexion critique.

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