Voyage sur le "Tapis volant"
- Valentina Semeghini
- 8 mag 2019
- Tempo di lettura: 4 min
On se promène sur un grand tapis oriental étendu au sol. On s'arrête et on "pêche" l'une des cartes géantes qui le compose, on la retourne et on découvre un message dans une langue et sa traduction en français. Nous avons le choix: on peut écouter ce que cette phrase évoque en nous, notre imaginaire, notre bagage linguistique, culturel et identitaire; ou, on peut poser la carte, continuer notre balade et en retourner une autre: il s'agira, avec un peu de chance, de la suite de la précédente et on pourra reconstituer une pensée plus longue et complexe; encore, on pourrait trouver d'autres mots, d'autres langues, d'autres traductions qui, encore, peuvent évoquer des sensations, des ressentis, faire ressortir des histoires personnelles ou imaginaires et, pourquoi pas, même avoir quelque chose en commun avec les cartes déjà retournées. Peut-être que tous seuls on n'arrivera pas à saisir toutes les possibilités d'interprétation et réflexion que ces cartes dévoilent et qu'on demandera aux autres errants ce qu'ils en pensent: d'abord à un seul, ensuite à deux, trois, cinqu, dix...Jusqu'à tisser des liens entre les cartes et les ressentis de chacun.
C'est un peu la règle principale de ce jeu: il n'y a pas qu'un seul mode fixe d'emploi. Chaque participant peut s'emparer des cartes étalées au sol et "mettre en mots" ce qui resterait invisible: les ingrédients des vies de chacun. Des histoires, des anecdotes, des difficultés à rendre dans une langue une certaine expression, un certain sentiment...
Le dispositif, initié en 2005 par Marion Baruch, Myriam Rambach et Arben Iljazi, à l'époque membres du collectif Name Diffusion, compte aujourd'hui presque 600 cartes et évolue constamment.
Le projet est nait dans centre d’accueil de migrants mineurs à Boissy-Saint-Léger, pour "mettre en mots" les histoires de ces jeunes, en passant par la valorisation de leurs langues pour aider les traducteurs de la structure. Mais comment donner de la visibilité à la richesse qui se produisait lors des échanges et les liens entre les histoires personnelles, linguistiques et culturelles que les jeunes tressaient? Comment les "matérialiser" et aider à en déclencher d'autres?
La conception du tapis a été longue et ardue, mais, finalement, elle est aboutie dans la création d’une première série de cartes. Depuis ce moment, l’œuvre a voyagé: de
CAOMIDA Stéphane-Hessel, foyer France Terre d’Asile, il a été poursuivi au Musée de l’homme à Paris, à Synesthésie, lieu d’art et revue situé à Saint-Denis, pour être installée au Musée d’art et d’histoire de Saint-Denis. Sa nature et son appropriation ont changé aussi: des formats réduits des cartes ont été réalisés, pour être transportés dans une valise dans des cafés des parents, auprès des écoles et des centres socio-linguistiques, pour animer des ateliers pour sensibiliser à la diversité linguistique et culturelle, avec le soutien de la Politique de la Ville de Paris, des coordinations REP de Paris 18e et du FDVA ( Fonds pour le Développement de la Vie Associative).
Chaque carte a un format 53 cm x 40 cm, ce qui donne à peu près la taille d’un torse humain, comme l’ensemble des cartes « fait corps ». L'un des deux côtés présente des motifs graphiques chargés en sens et poéticité, distribués autour d’un losange, dont les quatres angles sortent de la carte, pour être complétés par les motifs d'autres dos de carte. Cela permet de pouvoir placer chaque carte à des endroits différents, sans que la continuité visuelle, et métaphoriquement la relation entre les différentes histoires individuelles, soient interrompues.
Les dessins des deux motifs principaux ne répondent pas qu’à une logique « esthétique » : chaque dessin constitue l’esprit du tapis, qui est à la fois œuvre, jeu et, surtout, échange. Chaque image s’inspire des dessins des participants sollicités par les artistes dans leur projet de « traductions » et « dicibilité » de soi à travers la langue ; les couleurs aussi sont chargés symboliquement : par exemple, la première série ds cartes au dos bleu renvoie à « l’océan des langues », qui a été symboliquement le premier contexte d’élaboration du travail et dénominateur commun des migrants. Le dos marron nait du ressenti des artistes de la "concreté" de la ville de Saint Denis, contexte complètement différent, où à été engendrée la deuxième série de cartes.
Sur l’autre côté de la carte, une phrase écrite par un participant, ainsi que sa traduction en français, est présente, selon un sujet qui est écrit en haut à gauche de la phrase. Souvent le texte est trop long et est divisé en plusieurs cartes appartenant à une même famille, c'est-à-dire à un même thème, que l’on peut reconnaitre grâce à la couleur du petit losange placée au-dessus du texte.
Cependant, comme on l'a vu, le mode d'emploi n'est pas figé. Le jeu n’arrive jamais à atteindre une forme finie et consiste à créer de plus en plus une relation aux autres, au moyen d’une langue, qui englobe tellement de traits culturels et de personnalité qu’il est impossible de s’en saisir complètement et en trouvant un sens univoque au message et soustraits des cartes. La rencontre et la valorisation des voix, des points de vue et des expériences diverses de locuteurs est au cœur du dispositif.
Le dispositif est, ainsi, un travail participatif, interactif, réflexif, évolutif, relationnel et transculturel et permet à tous de se mettre en relation à l'autre, en écoutant son histoire, ses repères identitaires et culturelles qui émergent par la langue.
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